Carnet de Voyage
En 2015, je me rends à nouveau à Pushkar dans le Rajasthan, mais cette fois-ci cela sera pour assister à un grand évènement considéré comme une des plus grande foire aux chameaux du pays.
Le plus grand marché aux chameaux de l'Inde se tient chaque année dans la ville de Pushkar, en bordure du désert du Thar, une grande fête religieuse, donnée en l'honneur du dieu Brahma le dieu de la ville.
Durant douze jours, le Mela (rassemblement) se tient sur une plaine de sable, où se déroulent de nombreuses activités :
-
des courses de chameaux ont lieu avec le concours des plus beaux spécimens somptueusement caparaçonnés ;
-
des manèges, une grande roue, sont dressés sur la plaine ;
-
des compétitions en tout genre comme celle de la plus longue moustache «matka phod», et celle de la plus belle mariée, sont lancées;
-
des compétitions sportives sont organisées, ainsi qu'une rencontre de cricket ouverte en open ;
-
des Gitans venus de très loin de tout le pays.
Cette foire attire entre quatre milles et six milles personnes qui se pressent chaque jour sur les rives du lac Pushkar, des chameliers du désert de Thar et des milliers de pèlerins, sans oublier les nombreux touristes en provenance du monde entier.
C’est pour moi l’occasion d’aller justement à la rencontre de ces gitans dont mon expédition les mettra en valeur avec mon travail photographique.
Roms, Tsiganes, Gitans : qui sont-ils vraiment ?Quelles sont leurs origines ?
Selon de nombreux historiens se référant aux premières preuves écrites, il existe une filiation entre les Roms que nous connaissons et des populations nomades du nord-ouest de l’Inde. En effet, qu’il s’agisse des Roms, Gitans, Tsiganes, Romanichels, Manouches ou Bohémiens, tous seraient issus du même berceau, le Rajasthan.
Rajasthan, berceau des populations Roms
Ceux que l’on appelait autrefois les « Bohémiens » ou les « Romanichels » sont aujourd’hui définis par les termes génériques de « Tsiganes » ou de « Roms ». Dans le langage commun comme scientifique, ces nouvelles appellations désignent l’ensemble des populations présentes en Europe et originaires du Nord de l’Inde, qu’elles ont quitté vers le Xe siècle pour migrer lentement vers l’Europe occidentale. Leur présence est attestée pour la première fois dans l’Hexagone en 1419. Par des emprunts linguistiques, culturels et religieux dans les pays d’installation, ces populations sont définies en différents groupes : Roms, Manouches, Yéniches, Gitans et Sintis. En 1971, des membres de ces différents groupes ont choisi le terme générique de Roms pour s’autodéfinir comme mouvement politique au sein de l’Union internationale.
Les "Roms", originaires de Roumanie, Bulgarie, Grèce, Slovaquie, Serbie, Hongrie : selon l'association Rom Europe, ils représentent 85 % des Tsiganes européens. Leur arrivée en France s'est faite essentiellement en plusieurs vagues migratoires : d'abord au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, puis dans les années 1970 et enfin à partir des années 1990. S'ils viennent de la même région de l'est de l'Europe, ils n'ont pas la même nationalité, ni forcément les mêmes confessions religieuses, ni le même statut administratif. Il y aurait entre 15 000 et 20 000 Roms en France, dont 85 % de ressortissants européens, essentiellement bulgares et roumains.
Les "Sintés" et les "Manouches", installés en Italie, en France, en Allemagne, ont quant à eux transité par les régions germanophones. Ils représentent 5 % des Tsiganes européens.
Les "Gitans" ou "Kalés", vivant en Espagne, au Portugal et dans le Sud de la France. Ils représentent 10 % du peuple tsigane européen.
Il faut noter que certains Gitans et Manouches refusent l'appellation de Roms. Quant aux termes "gens du voyage", il s'agit d'une catégorie administrative, créée par la loi du 3 janvier 1969. Le terme désigne les personnes vivant plus de 6 mois par an en "résidence mobile terrestre". Leur nombre est estimé à près de 400 000 personnes selon la Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les Tsiganes. Selon cette association, la quasi-totalité d'entre eux sont de citoyenneté française.
Enfin, le terme de "bohémien" a lui aussi longtemps été utilisé pour désigner les Roms dans leur ensemble. Une référence à la Bohême, région d'Europe centrale que les Roms ont longtemps sillonnée, mais aussi à la "Bohème", école artistique (notamment poétique et littéraire) du XIXe siècle désignant par extension un mode de vie simple et désintéressé, voire insouciant.
La musique est l’élément fédérateur des Tsiganes du monde entier, il semblerait que tous aiment jouer, danser, chanter. De leurs prouesses musicales émanent les plus gros tourments, les émois et l’aventure de leur vie. Au fil des siècles, à travers les multiples étapes de leur voyage, ils ont conservé une partie des traditions de chaque pays d’accueil. D’ailleurs, il n’existe aucun style musical propre à l’entité Tsigane. Les genres les plus connus se sont développés là où des Gitans se sont installés à demeure. Depuis leurs premières migrations vers l’Ouest, les Tsiganes venus de l’Inde ancienne n’ont cessé de contribuer à notre vie culturelle par une multitude d’aspects. Dans de nombreux pays, ils ont su participer à l’évolution, mais aussi à la sauvegarde des musiques traditionnelles locales.
Que ce soient les Bohémiens ou les Tsiganes d’Europe de l’Est, les Gypsies d’Andalousie, les Saperas du désert du Thar ou les Kalbeliya de Pushkar, tous exercent sur les sédentaires une fascination historique. Des formes de leur habitat, qu’ils doivent transporter ou recréer au gré de leurs déplacements, à la quête incessante de ressources qui assurent leur subsistance, tous ces nomades partagent une même identité, renforcée par la relation quasi symbiotique qu’ils entretiennent avec leur environnement.
« Nous sommes des oiseaux de passage, demain nous serons loin » proverbe Tsigane.
Rencontre avec les femmes Kalbeliya et Bhopa, les reines du désert du Rajasthan.
La foire de Pushkar qui se tient chaque année dans une région où la monnaie d'échange est le chameau attire les pèlerins et les marchands indiens en mal de dévotion ou d'affaires. Le festival et les chameaux ont fait la une des magazines et programmes télévisés dans le monde. Fasciné par cet événement unique, je venais chercher quelque chose de différent ici. Je venais à la rencontre d'un des peuples les plus beaux de la planète, les femmes Gypsy, reines du désert.
Les Bhopa et les Kalbeliya sont très différents et sont toutes deux appelés "Gypsy" dans le dialecte local. Appartenant au niveau le plus bas de la caste Hindou, ils n'ont pas de domicile fixe et sont considérés comme des squatters ou des malhonnêtes.
Se déplaçant sans cesse et dormant à la belle étoile dans les faubourgs des villes, les Bhopa et les Kalbeliya partagent la même mauvaise réputation planétaire de bohémiens. Pourchassés par les rois et les maharajas à une époque, ils étaient engagés pour des spectacles exotiques,
Les Bhopa sont des musiciens et des chanteurs de talent et les Kalbeliya sont des danseurs et des charmeurs de serpents.
Les audiences royales se raréfiant, les Bhopa et les Kalbeliya ont perdu la majeure partie de leurs moyens de survie. Aujourd'hui, ils survivent en donnant des spectacles de rue dans les foires et festivals qui attirent de grandes foules.
Les Kalbelias sont réputés pour leur nomadisme dans les différents districts de l'Inde. C'est une population composée de marginaux, qui vivent à la périphérie des villages, dans des camps de fortune appelés «deras». Les hommes jadis étaient des charmeurs de serpents, ils transportaient leurs cobras dans des paniers cane, en allant de porte à porte. Ils vénéraient le cobra en préconisant de ne surtout pas le tuer, même si le reptile était entré par inadvertance dans une maison. Dans ce cas, il convenait d'appeler un Kalbeliya pour rattraper l'animal, sans le tuer. Durant ces spectacles, les femmes chantaient et dansaient en demandant l'aumône.
Aujourd'hui, les arts du spectacle sont la source principale de leurs revenus. Ainsi, les mouvements de danse et les costumes de leur communauté ressemblent à ceux des serpents. La danse Kalbelia, réalisée pour célébrer tout moment joyeux dans la communauté, fait partie intégrante de la culture Kalbeliya. Leurs danses et leurs chants sont un sujet de fierté et un marqueur d'identité pour les Kalbeliya. Ils représentent l'adaptation créative de cette communauté de charmeurs de serpents à l'évolution des conditions socio-économiques et à leur propre rôle dans la société rurale.
Les danseurs sont des femmes en jupes noires qui dansent et tourbillonnent, reproduisant les mouvements d'un serpent. Le tissu du haut du corps est appelé Angrakhi et un morceau de tissu porté sur la tête, appelé Odhani, est également appelé Lengha. Tous ces tissus sont mélangés dans des tons rouges et noirs et brodés de telle manière que lorsque ces danseurs exécutent leur mouvement, ces vêtements représentent une combinaison de couleurs apaisantes pour les yeux ainsi que pour l'atmosphère.
Des musiciens traditionnels de la caste des Bhopa ont élu domicile non loin de Pushkar, ils viennent chaque jour égrener quelques notes de musique avec leur rawanata (vielle traditionnelle) afin de glaner, eux aussi, quelques roupies. Les hommes sont facilement reconnaissables à leurs longues moustaches.
Après quelques jours passés à Pushkar, je décide de partir dans l’état du Gujarat, état beaucoup moins fréquenté par les touristes, à plus de 800 kms du Rajasthan et plus précisément dans le District de Kutch, appelé aussi le « Rann de Kutch » c’est un des plus grands déserts de sel au monde, après celui du Salar d’Uyuni en Bolivie, une immensité blanche paisible que seuls les visiteurs viennent troubler, c’est un lieu unique en Inde.
Il est constitué de basses terres inondées pendant la saison des pluies et asséchées le reste du temps. Le Kutch est bordé par le golfe de Kutch et la mer d'Arabie au sud et à l'ouest, et au nord par le Grand Rann, frontalier avec le Pakistan et à l’est par le Petit Rann.
Dans les années 1990, de violents troubles intercommunautaires ont éclaté à plusieurs reprises entre les communautés hindoue et musulmane. En 1992 notamment, environ 1500 personnes en majorité musulmanes, ont péri lors de ces affrontements à la suite de la destruction de la mosquée d'Ayodhya.
En août 2015, des émeutes ravagèrent le Gujarat à la suite de manifestations entamées par la caste bourgeoise des Patels contre la discrimination positive qui avantageraient trop les basses castes ainsi que les Dalits. De nombreux dégâts matériels furent à déplorer à travers l'état : bus, postes de police et voitures incendiés. Pour reprendre le contrôle, le Gouvernement a dépêché l'armée sur place et un couvre-feu a été instauré.
Mes déplacements au nord de la ville de Bhuj où j’ai posé mes bagages dans un hôtel, sont assez limités car plus j’avance et plus je trouve des « chekpoint » de police militaire qui m’encourage guère à continuer et comme je perds trop de temps dans ces contrôles, je décide de rayonner autour de Bhuj, où finalement je trouve des petits villages et des campements de plusieurs communautés tels que les Mir, les Harijans, les Meghwal, les Garasia, les Ahir, les Rabari…
- Les Meghwal vivent dans tout le Kutch. Ils sont originaires de Marwar au Rajasthan et sont réputés pour le tissage de la laine et du coton, des broderies sur cuir et des sculptures sur bois.
- Les Rabari sont des tribus nomades du Gujarat. Ils sont constamment en mouvement pour trouver de l’herbe grasse pour leurs troupeaux. Leur style de vie est complètement différent des autres tribus. Au Kutch, il y a entre 2500 et 3000 familles Rabari. Selon un expert, les Rabari seraient venus d’Afghanistan via le Baloutchistan, mais selon d’autres spécialistes, ils viendraient du Sind, au Pakistan.
- Les Mirs sont une tribu nomade du Gujarat à la fois hindoue et musulmane. Pris entre les pressions des extrémistes religieux, ils plaident en faveur d'une troisième religion, comme un troisième sexe.
- Les Garasia est une tribu de langue indo-aryenne formant une population de 232 000 personnes qui vivent dans les montagnes au Gujarat ainsi qu’au Rajasthan. Ils ont une approche hindouiste, ils peignent les murs et les sols de leurs maisons avec des motifs géométriques et graphiques pour leurs fêtes rituelles et surtout pour des raisons décoratives. Des tatouages sont souvent présents sur le corps des femmes : les mains, les épaules, le cou et le visage sont habituellement tatoués à l'aide d'un instrument électrique.
- Il y a une croyance que la tribu Ahir est venue du Sindh, province du Pakistan dans le sud-est du pays, au Gujarat et qu'ils ont été installés comme cultivateurs dans le Kutch. À cet endroit, ils se sont mêlés aux autres tribus différentes. Dans les tribus Ahir, les hommes et les femmes portent généralement des Kehdiyun (veste blanche) et des pantalons bouffants, le tout avec une combinaison de couvre-chef blanc. Généralement, les femmes des tribus Ahir arborent une bague lourde en argent. Les enfants de cette tribu s'habillent de vêtements très colorés. Pendant la saison de Diwali, les Ahir laissent leur bétail dans la rue pour dîner avec une autre communauté locale. Les métiers traditionnels des Ahirs sont l'élevage et l'agriculture.
- La communauté Harijan migrée il y a plus de 500 ans du Rajasthan. Ils vivent pour la plupart encore dans de modestes maisons faites de bois et de boue séchée, mais décorées avec grand soin de peintures murales, de miroirs et de sculptures sur bois. Les femmes réalisent des travaux de patchwork, de broderies très sophistiquées, incrustées de petits miroirs.
Ces rencontres m’ont permis encore de découvrir des ethnies, des peuples très différents de nos modes de vie, des gens qui appartiennent à des communautés qui sont fiers de leur histoire. Attiré par ces différences, je suis toujours à la recherche de personnes authentiques, qui j’espère continueront encore à vivre longtemps comme elles le souhaitent.